La naissance de l’agriculture
La naissance de l’agriculture constitue un évènement d’importance dans l’histoire de l’humanité, au même titre que la maitrise du feu ou l’invention de l’écriture. Elle marque l’entrée des peuples dans la période Néolithique. S’il parait en effet logique de considérer comme une véritable révolution le passage du mode de vie de chasseur – cueilleur à celui d’agriculteur, l’invention de l’agriculture n’a pu se faire qu’au cours d’une transition lente étalée sur plusieurs millénaires. Où et quand l’agriculture est-elle née ? Et dans quelles conditions cette naissance a-t-elle été possible ?
L’agriculture n’a pas vu le jour partout au même moment sur notre planète. Plusieurs foyers ont en effet été mis en évidence1, obéissant à des chronologies variables et parfois très différentes, pratiquée avec plus ou moins de succès également ! Focus sur les débuts de l’agriculture en Bretagne, puis sur son foyer d’origine, le Proche-Orient ancien.
L’agriculture en Bretagne
En Bretagne, l’avènement de l’agriculture peut être appréhendée grâce à l’archéologie bien sûr, mais également à l’archéobotanique qui prend en compte les restes macroscopiques (bois, graines) et microscopiques (pollens et spores) récoltés sur les sites archéologiques et dans les zones humides. Or, les chercheurs remarquent vers 6 000 – 5 500 avant JC, sur les côtes méridionales bretonnes, à l’embouchure du Golfe du Morbihan et de la Loire tout d’abord, une régression du couvert forestier (une chênaie diversifiée prédominait jusqu’alors), l’apparition des premières plantes rudéales2 indicatrices d’activités humaines, ainsi que le développement de plantes exotiques comme les céréales3.
Ils retrouvent les premières graines carbonisées de céréales (blé et orge nue), mais aussi de légumineuses comme le pois, sur le site archéologique de Dissignac, à l’embouchure de la Loire, vers 5000 ans avant JC.
Après cette période, les traces d’économie agricole deviennent indéniables dans le Sud Armoricain. En Bretagne nord cependant, les zones d’implantation des grands monuments mégalithiques ne révèlent d’actions de déboisement, de pratiques de cultures et d’élevage qu’à partir de 4500 – 4000 avant JC.
Vers 4000 – 3500 avant JC, les études de sols révèlent la pratique du brûlis par des lits de cendres caractéristiques4. Les études de graines carbonisées indiquent pour cette période du Néolithique moyen la culture du blé tendre hérisson, de l’orge nue et de la fève, notamment dans le Golfe du Morbihan5. Toutefois, à l’intérieur de la péninsule bretonne, les indices botaniques d’une occupation humaine néolithique sont plus ténus, avec une couverture forestière encore dense qui perdure plus longtemps, au minimum jusqu’aux débuts du second âge du fer (450 à 25 av. JC)6.
Comment identifier les débuts de l’agriculture ?
Plusieurs types d’indices permettent aux archéologues d’envisager les débuts d’une agriculture pour un lieu et une période donnée. L’utilisation d’outils en pierre dure utilisés pour la coupe des céréales est l’un d’eux. En effet, les concrétions siliceuses trouvées dans des plantes ou des restes de plantes fossiles (les phytolithes), laissent des rayures microscopiques sur la pierre (le lustre), donnant à l’outil une patine identifiable au microscope, même après des millénaires enterrés.
Cependant, le lustre s’avère être exactement le même que les plantes soient sauvages ou domestiques, ne permettant pas de distinguer une utilisation de l’outil par des chasseurs-cueilleurs ou par des agriculteurs. Cela oblige donc les archéologues à avoir recours à d’autres indices tels que l’étude des pollens ou des restes d’épis et de graines afin de déterminer le stade de domestication des céréales.
Les premiers agriculteurs
Les premiers indices au monde d’une pratique agricole se retrouvent dans les cultures natoufienne et khiamienne couvrant une partie d’Israël, de la Jordanie actuelle et le Sillon Levantin entre 12 500 à 9 500 ans avant JC7. Les Natoufiens ont laissé des vestiges d’habitats fixes, marqueurs d’une sédentarisation au moins partielle. Sur leurs sites, les silex portant le lustre des céréales sont également fréquents. Il est donc possible d’en déduire qu’ils récoltaient des épis de graminées… sans que rien cependant n’indique qu’ils pratiquaient l’agriculture. En effet, aucune structure de stockage n’ayant été mise à jour, ils n’étaient peut-être que des cueilleurs de céréales.
C’est lors de la période suivante, appelée PPNA (Pre-pottery neolithic A, de 9 500 à 8 700 avant JC), qu’un outillage abondant comprenant mortiers et meules, bifaces et faucilles est mis à jour. A Mureybet (Syrie), des archéologues8 retrouvent dans l’un des bâtiments une division en compartiments spécialisés avec des recoins pour les réserves, sans doute des greniers. En parallèle, ils remarquent une brusque augmentation des pollens de céréales autour du site, principalement de l’orge, de l’amidonnier et de l’engrain, qui sont autant d’indices révélant une première forme d’agriculture.
La période suivante, appelée PPNB, à partir de 8700 avant JC, est marquée par une expansion des territoires occupés par l’Homme et une croissance démographique rapide. L’agriculture, encore limitée à une zone étroite, commence à se déplacer vers d’autres régions. C’est à partir de cette période que les céréales peuvent être considérées comme réellement domestiquées9. En effet, sur la plupart des sites archéologiques, la quantité de céréales retrouvées augmente brusquement, de même que celle des pollens d’espèces opportunistes (gaillet, coquelicot, fabacées, ivraie, etc.,… les mauvaises herbes des agriculteurs). Les paléobotanistes observent également que les espèces, sauvages ou domestiquées, diffèrent maintenant sensiblement. Les céréales domestiques ont perdu leur capacité à disperser elles-mêmes leurs épillets (partie retenant le grain), contrairement à leurs ancêtres sauvages.
C’est également à cette époque que des paléontologues observent la domestication des deux premiers animaux d’élevage, la chèvre et le mouton, en Anatolie centrale, dans une zone située nettement au nord du Levant10.
L’agriculture du Proche-Orient à l’Europe
Comment l’agriculture s’est-elle diffusée sur de nouveaux territoires ? Le monde scientifique s’accorde aujourd’hui sur le fait que le néolithique européen dérive de celui du Proche-Orient. Des populations pratiquant l’agriculture et l’élevage en Asie Mineure se seraient installées en Grèce avec leurs semences, leur bétail et leurs techniques avant que leurs descendants ne s’éloignent un peu plus vers l’ouest au fil des générations.
Entre son arrivée en Grèce et le moment où il atteint les côtes atlantiques, les chercheurs ont calculé que le Néolithique avance d’environ 20 à 30 km par génération. Pendant toute cette période, peu de nouvelles plantes d’origine européenne sont cultivées : quelques arbres fruitiers comme le châtaignier et des légumes, comme le chou.
[1] Harlan J.R., 1987. Les plantes cultivées et l’homme. Coéd. Agence de coopération culturelle et technique, Conseil international de la langue française et PUF, 414 p.
[2] Les plantes rudéales sont celles qui poussent spontanément dans un milieu anthropisé, c’est-à-dire modifié de fait de l’activité ou de la présence humaine.
[3] VISSET L., L’HELGOUACH J. et BERNARD J., 1996. La tourbière submergée de la pointe cle Kerpenhir à Locmariaquer (Morbihan), étude environnementale et mise en évidence de déforestations et de pratiques agricoles néolithiques, Rev. Archéol. Ouest, 13: 79-87 et VISSET L., CYPRIEN A.-L., CARCAUD N., OUGUERRAM A., BARBIER D. et BERNARD J. 2002, Les prémices d’une agriculture diversifiée à la fin du Mésolithique dans le Val de Loire(Loire armoricaine, France), CR. Palevol 1 : 51-58.
[4] A. Gebhardt et D. Marguerie. La transformation du paysage armoricain sous l’influence de l’homme, in : coll. « Le Néolithique au quotidien ». Documents d’Archéologie Française, n°39, Editions Maison Sciences de l’Homme, Paris, p. 19 – 24, 1993.
[5] VISSET L., L’HELGOUACH J. et BERNARD J., 1996. La tourbière submergée de la pointe cle Kerpenhir à Locmariaquer (Morbihan), étude environnementale et mise en évidence de déforestations et de pratiques agricoles néolithiques, Rev. Archéol. Ouest, 13: 79-87
[6] Gebhardt A., Marguerie D., Visset L., Bernard V., Gaudin L., 2007. Des premiers agriculteurs aux bocages armoricains, les données des disciplines paléoenvironnementales, in Bocages et Sociétés, dir A. Antoine et D. Marguerie, PUR, pp 51 à 61.
[7] Cauvin J., 1994. La naissance des divinités, la naissance de l’agriculture, la naissance des symboles au néolithique. CNRS éditions, Paris, 304 p. et Valla F., 2000. La sédentarisation au Proche-Orient : la culture natoufienne. In J. Guilaine (dir.), 2000. Premiers paysans du monde. Naissance des agricultures (ouvrage collectif). Editions Errance, Paris, 320 p.
[8] Cauvin J. 1978. Les premiers villages de Syrie-Palestine, du IXème au VIIème millénaire avant J.C., Collection de la Maison de l’Orient Méditerranéen Ancien n°4, Série Archéologique 3.
[9] Wilcox G., 2000. Nouvelles données sur l’origine de la domestication des plantes au Proche-Orient. In J. Guilaine (dir.), 2000. Premiers paysans du monde. Naissance des agricultures (ouvrage collectif). Editions Errance, Paris, 320 p.
[10] Mazurié de Keroulan K., 2003. Genèse et diffusion de l’agriculture en Europe. Agriculteurs, chasseurs, pasteurs. Errance, Paris, 184 p.